Planification stratégique, mobilisation citoyenne… Quand la sobriété foncière devient réalité
Article rédigé dans le cadre de notre newsletter Perspectives Territoriales.
Dans notre article précédent, nous avons exploré les racines des ambitions européennes de préservation des sols. Mais au-delà des cadres stratégiques, des projets concrets montrent comment ces principes deviennent réalité : à Berlin, on allie densification urbaine et renaturation ; en Italie, des friches urbaines sont réhabilitées grâce à la participation citoyenne ; aux Pays-Bas, la coopérative Land van Ons soutient l’agriculture durable via la mobilisation collective. Ces initiatives illustrent une gestion responsable et collaborative des sols.
Berlin, Allemagne : concilier densification urbaine et renaturation grâce à une planification stratégique
En Allemagne, l’État de Berlin applique une stratégie globale de compensation urbaine, appelée Gesamtstädtische Ausgleichskonzeption (GAK). Ce système identifie des zones prioritaires nécessitant davantage d’espaces verts et y intègre les compensations environnementales, liées aux nouveaux projets urbains dans la ville, dans une planification urbaine cohérente. L’objectif est d’organisation les compensations environnementales pour répondre aux besoins en matière de nature, tout en soutenant de projets de construction/reconstruction dans l’enveloppe urbaine de Berlin. Les zones prioritaires du GAK incluent le centre-ville densément bâti, des axes considérés comme « espaces libres » et les zones de loisirs périurbaines. De cette manière, les compensations maximisent leurs bénéfices environnementaux en favorisant la biodiversité, en améliorant les sols et les ressources hydriques. De plus, elles offrent des espaces de détente facilement accessibles aux habitants.
Le projet « Les perles bleues » en est un exemple concret. Lancé en 2022, ce programme a permis de restaurer une trentaine de petits plans d’eau et leurs abords, essentiels pour la biodiversité et le rafraîchissement en milieu urbain. Cette action répond aux défis de la baisse de la pluviométrie et de l’imperméabilisation des sols, tout en contribuant à l’équilibre hydrique.
Ce modèle inspirant illustre une manière de concilier densification urbaine et renaturation. En regroupant les efforts de compensation, il permet de développer des projets d’une ampleur et d’une efficacité supérieures à des actions isolées.
Casoria, Italie : transformer des friches en espaces vivants grâce à la participation citoyenne
Le projet Casoria, situé à 10 km de Naples, en Italie, est un bel exemple de réhabilitation urbaine participative. Cette initiative a transformé des friches abandonnées en espaces fonctionnels, intégrés au tissu urbain. Casoria, ville fortement urbanisée, souffrait depuis des années d’ingérence politique. À partir de 2013, un processus de régénération communautaire a été lancé, impliquant activement habitants, écoles publiques et demandeurs d’asile dans la planification et la réalisation des transformations. Cette démarche a renforcé le sentiment d’appropriation des habitants et leur adhésion au projet.
Les interventions s’inscrivaient dans une stratégie urbaine globale, assurant la cohérence entre des actions au sein des quartiers et les objectifs à long terme pour la ville. Co-financé par le programme européen Urbact III, ce projet a bénéficié d’un investissement municipal d’environ 100 000 euros.
Une des premières étapes clés a été de collaborer avec les propriétaires de terrains inutilisés, en leur demandant de faciliter l’accès temporaire à leurs terres. Ces terrains ont été connectés au centre-ville par des chemins publics provisoires, afin d’identifier quels étaient leurs usages par les habitants, avant de les pérenniser ou non. Cette solution simple pour surmonter la fragmentation urbaine a permis la création d’un vaste parc public à plus long terme. Les habitants ont également organisé des opérations de nettoyage des sites. Ces actions ciblées ont permis des résultats rapides tout en restant adaptées aux besoins spécifiques du territoire.
Ce projet a démontré que l’implication citoyenne et une approche participative sont essentielles pour garantir le besoin et l’usage des transformations, et donc leur pérennisation dans le temps, notamment dans des contextes sensibles comme la reconstruction post-séisme. L’expérience met en lumière l’importance d’une collaboration étroite entre autorités locales, citoyens et acteurs privés pour une revitalisation urbaine inclusive et durable.
Land van Ons, Pays Bas : une coopérative citoyenne pour préserver l’agriculture
Land van Ons, une coopérative néerlandaise fondée en 2019, achète des terres agricoles afin de promouvoir des pratiques respectueuses de l’environnement et renforcer la biodiversité. Ce projet repose sur la mobilisation citoyenne : chaque membre investit au moins 20 euros par an, avec une contribution moyenne de 400 euros. Les citoyens deviennent copropriétaires des terres acquises, qui sont ensuite louées à des agriculteurs biologiques à des tarifs abordables.
Depuis sa création, la coopérative a acquis plus de 160 hectares, où elle encourage la rotation des cultures, la préservation des sols et la réduction des intrants chimiques. Elle produit notamment du blé dur, du sarrasin et du lupin, transformés et vendus en circuits courts sous forme de pâtes et de biscuits.
L’initiative connaît une forte croissance, passant de 700 membres en 2020 à 18 000 en 2021, avec l’ambition d’atteindre 50 000 membres et 1 000 hectares de terres biologiques d’ici 2025.
Parmi ses projets phares figure l’achat de 13 hectares en 2024 dans le parc paysager Lingezegen, en collaboration avec d’autres acteurs. Cette parcelle est dédiée à un agroécosystème varié et à des cultures respectueuses de l’environnement.
Ce modèle démontre qu’une mobilisation collective peut favoriser une agriculture durable tout en impliquant directement la population dans la restauration écologique.
Perspectives européennes : des pistes pour la sobriété foncière française
La prise de conscience des problématiques liées à l’artificialisation et au besoin de préservation des sols se renforce en Europe depuis de nombreuses années. Néanmoins, face à la pression d’autres acteurs et en l’absence de réglementations contraignantes et d’une méthodologie claire, les Etats membres se mobilisent de façon mesurée, sans toujours faire de la sobriété foncière une priorité. Les débats actuels sur la ZAN en France questionnent la faisabilité et la soutenabilité économique et sociale de la sobriété foncière. Toutefois, l’investissement d’acteurs publics, privés et des citoyens – en France et en Europe – a donné lieu à des projets innovants, comme dans les exemples susmentionnés, et à la concrétisation de mesures efficaces pour la réduction de l’artificialisation et pour la préservation des sols. En plus de leur caractère inspirant, ces projets soulignent que la trajectoire ZAN est comprise par de nombreux acteurs et que son impact est renforcé par l’engagement de chacun à tous niveaux.