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Loi APER : guide pratique pour valoriser ses parkings par la production photovoltaïque

Tribune de Quentin Dérumaux, partner chez Julhiet Sterwen, expert énergie.

Merci à Europ’Energies, dans lequel cette tribune a été initialement publiée, ainsi qu’à Claire Aicardi.

 

Les entreprises supportent largement l’objectif de développement du photovoltaïque sur les sols artificialisés. La simplicité de l’autoconsommation ne résoudra pas tout. D’autres questions plus complexes appellent une vraie réflexion collégiale, voire une transformation.

A l’occasion de l’université de l’autoconsommation (AC) photovoltaïque (PV) en septembre à Paris, Enedis a partagé quelques chiffres très encourageants sur la mobilisation des entreprises sur le solaire photovoltaïque. Au 2e trimestre de l’année 2023, le cumul de la puissance raccordée et des demandes de raccordement avait atteint 960 MW, contre 347 MW à la même période en 2022. S’il est clair que le traumatisme de la crise des prix en 2022 a joué un rôle dans cet envol, la tendance est pérenne. La loi d’accélération des productions d’énergies renouvelables (APER) crée un appel d’air immense. Il est donc temps de s’intéresser plus en détail au fonctionnement de ce dispositif, dont la simplicité cache d’autres modèles plus complexes et un changement de rapport à l’énergie pour le consommateur, moins anodin qu’il n’y paraît. Voici quelques clés pour s’y mettre.

 

Qu’est-ce que l’autoconsommation (AC) ?

Une installation de production d’électricité est en AC si elle est raccordée en aval du point de livraison d’un site consommateur. Cette configuration permet de déroger à plusieurs règles. Sous conditions strictes, l’AC échappe aux autorisations d’achat pour revente, y compris celles, imminentes, pour les PPA. L’autoproducteur et l’autoconsommateur doivent être la même personne. En cas de tiers-investissement, le contrat liant l’éventuelle société de projet au consommateur peut prendre des formes de mise à disposition de l’actif, de location-vente, de prestations de services mais en aucun cas il ne peut être une vente d’énergie.

Au prix de ces quelques contraintes, la quantité d’énergie autoconsommée jouit de plusieurs exonérations. Elle sort de l’assiette des droits d’accises, temporairement très faibles mais dont le prix « normal » était de 24 €/MWh. Elle n’est pas non plus soumise à la part variable du Turpe payé par le consommateur. Par rapport à un PPA, cette énergie ne fait pas appel à un agrégateur qui ferait payer ses services. En somme, l’énergie autoproduite bénéficie d’un bonus de compétitivité.

 

Faire de l’autoconsommation : petit manuel à l’usage du chef de projet

Le point de départ le plus courant des réflexions sur le photovoltaïque est la contrainte. Et notamment l’obligation faite aux propriétaires de parkings de plus de 1500 m² de couvrir la moitié de la surface (soit la surface de 100 % des places) avec des ombrières photovoltaïques dans le cadre de la loi APER avant juillet 2026 et juillet 2028, selon la taille du parking.

 

Etape 1 : l’alignement et la mobilisation

Un effort d’alignement est nécessaire pour choisir ses objectifs :

  • assurer sa conformité à la loi APER (qui prévoit des pénalités annuelles par site pour les contrevenants jusqu’à 20 000 et 40 000 euros selon que leurs parkings font moins ou plus d’un hectare),
  • percevoir un revenu d’occupation du foncier,
  • valoriser son patrimoine immobilier,
  • se prémunir de futures hausses des cours de l’électricité,
  • réduire sa facture d’énergie,
  • réduire son exposition aux contraintes du décret tertiaire,
  • pouvoir faire état dans sa communication extra-financière d’une consommation « verdie ».

Les objectifs doivent être explicitement hiérarchisés car il est impossible de gagner sur tous les fronts. L’AC doit donc s’envisager dans un véritable projet d’entreprise, mobilisant un collectif. Même l’acheteur d’énergie ne peut pas agir seul car son mandat peut contredire une prise de position à si long terme.

 

Etape 2 : la consolidation des données

Ensuite, il faut croiser des données rarement manipulées ensemble pour se doter d’une vision consolidée du patrimoine immobilier concerné et de ses évolutions, de sa localisation, de la taille et de la structure des parkings, des puissances souscrites, des courbes de charge, des initiatives prises au titre de l’électrification des véhicules, de la sobriété, du décret bacs ou du décret tertiaire.  Les régimes de propriété des bâtiments et des parkings, les modalités d’exploitation du parc et leur évolution doivent être pris en compte. Chaque item a un impact sur le potentiel d’AC ou les modalités de création de valeur.

 

Etape 3 : le choix des modèles

L’autoconsommation individuelle est souvent un modèle très favorable mais le potentiel de l’AC est contraint. Choisir d’autres modèles de valorisation de l’énergie impose de positionner les sites selon deux axes : d’une part, la puissance installable sur le foncier disponible, et d’autre part, la proportion de la production d’énergie qui peut être autoconsommée. La puissance limite les dispositifs de soutien. L’axe « part d’autoconsommation » informe sur l’importance de l’exutoire des surplus. Sur des petites installations aux surplus faibles, l’obligation d’achat au tarif, est un exutoire pertinent. Pour des surplus intermédiaires, dans la limite de 3 MWc et d’un rayon de 2 km, l’autoconsommation collective peut constituer un débouché à cette énergie excédentaire, auprès de cibles PME souvent privées de l’accès aux PPA. Les appels d’offres CRE ont un sens à partir de 1 MWc. Découper l’installation ou agréger le portefeuille de productions dans un PPA peut avoir un sens pour les cas plus volumineux.

 

Etape 4 : la politique d’investissement et les ratios financiers

Toute entreprise a une politique d’investissement qui se caractérise par un taux de rentabilité interne minimum à atteindre et par des règles de co-investissement. Il peut être tentant d’investir dans une société de projet. Il faut toutefois avoir en tête que les rentabilités des projets photovoltaïques portent sur des TRI plus modestes et des échéances plus longues que les habitudes du tertiaire. On peut optimiser le TRI mais cela impacte d’autres aspects de la relation avec le développeur. Le chef de projet doit faire valider un compromis.

En outre, un contrat d’AC peut entraîner, dans les sociétés cotées, l’obligation d’écrire la valeur du contrat sur 20 ans dans les engagements hors bilan, ce qui altère les ratios financiers. Des contournements sont possibles mais ils peuvent générer d’autres contraintes opérationnelles ailleurs. Surtout, il est nécessaire de vérifier la validité de la solution avec son commissaire aux comptes et sa qualité juridique avec un avocat.

 

Etape 5 : l’anticipation du chantier

Au terme de ces réflexions, il faut se projeter dans l’exécution du programme, choisir le mode de contractualisation et des partenaires. Dans un marché des développeurs PV encore très morcelé, tous les acteurs ne sont pas armés pour opérer tous les modèles. Tous ne peuvent pas non plus répondre à toutes les entreprises : en particulier, dans le tertiaire, l’obligation APER peut engendrer des programmes sur des centaines de sites, qui nécessitent une attention particulière sur le pilotage de l’exécution, sur la réduction des délais de financement ou encore sur les limites d’intervention.

 

Une opération plus transformante qu’il n’y paraît

Développer des projets d’AC est tout à fait réalisable, si l’on s’y prend avec méthode et avec un peu de soutien pour éviter des contresens économiques et juridiques. Ce qui est frappant, c’est que de telles opérations entraînent de vraies transformations organisationnelles. Alors que jusqu’ici les entreprises traitaient le plus souvent de façon « silotée » les différentes thématiques énergétiques, la réussite des projets PV nécessite la collaboration des différentes directions ainsi que l’implication de la direction générale. Ces opérations plongent de force les organisations dans un raisonnement sur l’énergie, à la fois global et sur le temps long. Les entreprises, notamment tertiaires, sont soumises à un faisceau de contraintes énergétiques assez inédit ­— entre une nécessaire réflexion sur la stratégie d’achat et de fourniture d’énergie, le décret tertiaire, la performance extra-financière et maintenant la loi Aper. C’est cette dernière contrainte qui les force à les aborder de façon globale.