Qualité de l’air : les ZFE, des outils clés d’une ambition à 2030
Entretien mené par Frédérique Triballeau et Quentin Dérumaux, pour le 2ème numéro de notre newsletter Perspectives Territoriales, dédié aux ZFE.
Qu’est ce qu’une ZFE ?
Claude Renard, coordinateur ZFE et IRVE au sein de la Direction Générale de l’Energie et du Climat du Ministère de la transition énergétique, a accordé une interview à Julhiet Sterwen, autour des Zones à Faibles Émissions (ZFE). Pour mémoire, selon la définition du Ministère, « une ZFE est une zone comportant des voies routières où la circulation des véhicules les plus polluants est restreinte, selon des modalités spécifiques définies par la collectivité. L’objectif est de réduire les émissions de polluants atmosphériques et d’améliorer la qualité de l’air locale, afin de réduire les impacts de la pollution sur la santé des habitants et autres usagers (étudiants, travailleurs, etc.) concernés par la ZFE. »
Il existe en Europe plus de 320 ZFE, appelées aussi low emission zones, qui ont toutes le même objectif : protéger la santé des riverains vivant dans les zones les plus denses et les plus polluées en réduisant les émissions de dioxydes d’azote et particules induites par le trafic routier. Pourtant, la mise en place de ces zones a pu faire face à des difficultés d’acceptabilité sociale puisque les véhicules des foyers les plus défavorisés sont souvent âgés, avec des motorisations sur d’anciennes normes et donc sont plus directement visés par les restrictions puisque plus polluants. C’est pourquoi, plusieurs aides visent expressément les foyers les plus modestes.
Pourquoi les ZFE ont-elles été mises en place ?
Claude Renard : Les ZFE sont un des outils de la politique globale d’amélioration de la qualité de l’air en France. Cette politique s’appuie sur un cadre légal général. Ce dernier inclut la loi d’orientation des mobilités (LOM) et la loi climat et résilience, qui fixent des critères minimums à respecter, mais qui laisse surtout une très grande souplesse d’action dans les territoires, pourvu qu’on démontre une efficacité suffisante.
Actuellement, nous ne respectons pas partout sur l’ensemble du territoire national les valeurs limites de qualité de l’air défini par les directives européennes. Nous sommes toujours en contentieux avec la Commission Européenne pour les dioxydes d’azote. De plus, au niveau national, le Conseil d’État a condamné l’État français pour ne pas avoir respecté les seuils de qualité de l’air. Ainsi nous devons prendre des mesures pour réduire les émissions de dioxydes d’azote, en particulier par la mise en place des ZFE. La LOM et la loi Climat & Résilience ont précisé le cadre de ces ZFE, en préservant un maximum de souplesse d’application et d’adaptation locale.
Où en sommes-nous actuellement avec les ZFE et quelles sont les prochaines étapes ?
Claude Renard : A ce stade, il y a deux types de collectivités concernées par les ZFE.
Les premières sont les agglomérations qui dépassent régulièrement les seuils de pollution. En 2023, cinq agglomérations étaient concernées : Paris, Lyon, Marseille, Rouen, et Strasbourg. En 2024, seules Paris et Lyon continuent de dépasser les seuils, pour les autres l’amélioration de leur qualité de l’air les a fait passer sous les seuils. Ces deux agglomérations sont donc les seules véritablement concernées par l’obligation de mettre en place des ZFE restreignant la circulation des véhicules particuliers Crit’Air 3 dès janvier 2025.
Ensuite, il y a les autres territoires qui respectent les seuils de la directive européenne, mais qui devront quand même mettre en place des restrictions d’ici au 1er janvier 2025, notamment parce qu’elles dépassent les seuils recommandés par l’OMS. Cependant, elles sont libres de choisir leurs futures règles de circulation. Ainsi, par exemple, certains territoires décident de seulement limiter l’accès aux véhicules non classés, qui représentent une petite fraction du parc automobile. Dans ce contexte, 12 agglomérations ont déjà mis en place des ZFE. Il reste environ une trentaine d’agglomérations qui doivent encore agir, et qui mènent actuellement des études et des consultations.
Ceux qui agissent sur la qualité de l’air dans les territoires doivent toutefois se garder de considérer ce sujet comme clos. Il faut s’inscrire dans une dynamique de moyen / long terme. La directive européenne sur la qualité de l’air est en cours de révision et devrait diviser par deux les concentrations limites en dioxydes d’azote, pour l’horizon 2030. Cet objectif 2030 serait d’ailleurs toujours 2 fois supérieur aux recommandations de l’OMS, qui seront un objectif de plus long-terme.
Quels sont les outils disponibles pour aider les collectivités dans la mise en place des ZFE ?
Claude Renard : Il y a plusieurs initiatives en cours pour aider les collectivités, mais également les usagers, particuliers et professionnels. Par exemple, le site internet “Mieux respirer en ville” offre des informations et des ressources. Il a été lancé fin 2023 pour centraliser les informations et faciliter la communication autour des ZFE. Une campagne de communication a également été réalisée par l’ADEME pour sensibiliser le grand public aux effets de leurs déplacements sur la qualité de l’air et aux solutions proposées face aux restrictions de circulation. Une autre est prévue à l’automne 2024, et sera lancée à l’occasion de la journée de la qualité de l’air.
En termes de soutien financier, plusieurs dispositifs d’aides sont en place, tels que les aides de l’Etat et des collectivités pour l’achat d’un véhicule peu polluant ou encore des appels d’offre et programmes d’économie d’énergie en faveur de la marche, du vélo ou des véhicules électriques lourds.
Le fond vert est une ressource clé, avec une mesure dédiée spécifiquement aux ZFE. Ce fond aide à financer des mesures alternatives de mobilité ou à mettre en place les ZFE. Cela inclut le financement d’études, de panneaux d’information pour les ZFE, de programmes de covoiturage et de nouvelles lignes de transports en commun vers la ZFE, par exemple. Pour avoir un ordre d’idée, 127 millions d’euros de subventions ont été alloués en faveur des ZFE via le fond vert en 2023 pour des projets totalisant 427 millions d’euros, soutenant ainsi 218 projets à travers le pays.
Il est crucial que les collectivités n’hésitent pas à déposer des dossiers pour bénéficier des aides disponibles. Une enveloppe budgétaire significative est dédiée à l’accompagnement des projets visant à améliorer la qualité de l’air. En plus des financements, il est important de rester informé et de participer aux initiatives de sensibilisation pour garantir une compréhension et une adhésion maximales des citoyens aux mesures de restriction et d’amélioration de la qualité de l’air.
Le débat sur les ZFE a parfois été houleux. Certaines collectivités se montrent très ambitieuses, envisageant d’aller jusqu’à restreindre l’accès aux véhicules avec une vignette Crit’Air 2. Quelles sont les évolutions à venir en termes de restrictions ?
Claude Renard : La grande souplesse de mise en œuvre des ZFE a essuyé quelques critiques de la part d’une partie des acteurs se déplaçant dans les territoires, notamment les gestionnaires de flottes. Les collectivités ont été libres de se lancer dans des projets parfois plus ambitieux que le cadre légal. Ces ambitions dispersées ont fait craindre des difficultés de mise en conformité, voire des difficultés d’accès aux agglomérations. Cette crainte est aujourd’hui dissipée avec des ambitions mieux calibrées. Pour autant, il y a des défis importants en matière d’acceptabilité sociale et des répercussions pour les professionnels de la logistique urbaine.
Pour faciliter l’adhésion à la démarche, les collectivités peuvent mettre en place des mesures dérogatoires aux restrictions de circulation. Par exemple, elles peuvent définir des créneaux horaires spécifiques, des jours de la semaine où les restrictions ne s’appliquent pas. Elles peuvent aussi proposer des pass ZFE qui permettent un certain nombre de jours de circulation par an, utiles pour des rendez-vous occasionnels, médicaux ou administratifs. Ces dérogations offrent une certaine flexibilité. L’Etat est à l’écoute des idées sur le sujet et a d’ailleurs partagé un feuillet de bonnes pratiques réalisé en collaboration avec l’AMF, le CEREMA et France Urbaine pour aider les acteurs de terrain.
Enfin, les restrictions de circulation ne sont qu’un aspect de la solution. Il est crucial de déployer et promouvoir des alternatives de transport, comme les transports en commun, la mobilité douce, ou le covoiturage. Ces alternatives peuvent avoir des effets très bénéfiques sur la qualité de l’air sans nécessiter un remplacement massif du parc automobile. Elles sont une des voies pour se mettre en conformité avec la règlementation européenne.
Notre message clé est que les collectivités doivent vraiment se projeter à 2030 et au delà : la nouvelle directive impose un plafond plus ambitieux. Toutes les solutions devront être mobilisées et elles demandent du temps pour être mises en œuvre.
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