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Interview | Renoncer à un projet urbain : l’écoquartier de la Presqu’île de Caen

Interview réalisée dans le cadre de notre newsletter Perspectives Territoriales.

 

La presqu’île de Caen, emblème d’un urbanisme futuriste, devait accueillir un écoquartier innovant et durable. Pourtant, face à la montée des eaux et aux récentes projections climatiques, la Communauté urbaine de Caen la mer a décidé de renoncer à ce projet. Ce choix radical questionne le courage des acteurs des territoires à s’adapter aux nouvelles réalités environnementales et climatiques. Dans cet entretien, Alexandre Monnin, philosophe et co-fondateur du mouvement de la redirection écologique, et Emmanuel Renard, Président de Caen Normandie Métropole et Vice-Président en charge de l’aménagement et du foncier à Caen la mer, explorent les enjeux du “renoncement”, non comme un échec, mais comme une nouvelle manière de penser l’urbanisme et la transition écologique.

 

Julhiet Sterwen : Pour commencer, pourriez-vous introduire la notion de “renoncement” ? À quoi cela fait-il référence, et quel est le cadre de pensée associé ?

Alexandre Monnin : Le renoncement s’inscrit dans le cadre de la redirection écologique, de manière complémentaire à la transition écologique. En d’autres termes, demain, il ne sera plus possible de tout maintenir en l’état. Il faudra adapter nos infrastructures et nos activités. Il est essentiel de ne pas préserver des pratiques néfastes, comme l’artificialisation des sols, pour maintenir des conditions d’habitabilité sur Terre.

Les territoires sont en première ligne face aux conséquences du changement climatique, face aux routes dévastées par les inondations par exemple. Le renoncement, ici, est intimement lié à ces transformations environnementales. Ce n’est pas une simple coupe budgétaire affectant certains types d’infrastructure. Avec le renoncement et la redirection, il s’agit plutôt de savoir comment redéployer les moyens existants pour construire des modèles viables. En ce sens, la redirection écologique ne s’arrête pas avec le renoncement, elle en le requiert et en découle.

En ce moment, même si certains parlent de recul de la transition écologique, on entend plus que jamais parler de renoncements et de redirection. C’est un mouvement de fond, malgré les contraintes budgétaires et politiques.

 

Pour comprendre concrètement ce que peut être le renoncement sur nos territoires, parlons maintenant du projet de la Presqu’île de Caen. Quelle est son histoire et quels sont les acteurs impliqués ?

Emmanuel Renard : Le projet de l’écoquartier de la Presqu’île de Caen remonte à une dizaine d’années. La géographie de ce lieu est unique : la ville est traversée par l’Orne et un canal construit au XIXe siècle pour des activités portuaires. La ZAC du Nouveau Bassin, lieu d’implantation de ce futur écoquartier se situe entre ces deux cours d’eau, sur une zone mixant activités et friches industrialo-portuaires qui s’étend sur 30 hectares.

La Société publique locale d’aménagement (SPLA) Caen Presqu’île a été chargée de transformer cet espace en un écoquartier, un projet démonstrateur. On y prévoyait 2500 logements et des activités, des parkings silos, des mobilités douces et une forte végétalisation. C’était vraiment conçu comme la “ville de demain”. Dès le départ, la sensibilité du site, entouré d’eau, a été prise en compte. Le concept de “transparence hydraulique” avait même été intégré, permettant au site de supporter quelques inondations ponctuelles sans dommages majeurs.

En 2023, nous avions toutes les autorisations administratives nécessaires, et les promoteurs étaient prêts à acquérir les premiers lots. Mais c’est aussi à ce moment que le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et celui du Haut Conseil pour le Climat sont arrivés, mettant en lumière les fortes accélérations de la montée du niveau de la mer. Ces nouvelles données ont soulevé une question essentielle : que se passe-t-il quand les événements climatiques “exceptionnels” deviennent la norme ?

Cela nous a conduits à suspendre le projet, le temps de mener avec l’État et sur plusieurs années une étude hydraulique dynamique sur l’ensemble de la Basse vallée de l’orne. Cette étude permettra de modéliser l’impact de la montée des eaux, avec des scénarios allant jusqu’à +1,70 mètre. Désormais, nous devons réfléchir à la résilience de l’estuaire de Caen face à ces nouvelles réalités.

 

Comment cette prise de conscience s’est-elle faite, notamment chez les élus et les services de la collectivité ?

Emmanuel Renard : Lorsqu’il a été clair que ces nouvelles données changeaient complètement la donne, le projet a été immédiatement mis en pause, puis abandonné quelques semaines plus tard. Les élus, en grande partie grâce à l’implication du GIEC Normand, étaient déjà sensibilisés à ces enjeux. Cela a contribué à la rapidité de la décision.

Il y a aussi eu un changement de paradigme au niveau de la Communauté urbaine. Caen la mer, par exemple, a renoncé à l’expansion périurbaine au profit d’un développement plus polycentrique, dans son récent projet de territoire. L’équipe d’élus en place est plus réceptive que ses prédécesseurs à ces nouvelles données et aux enjeux du changement climatique.

 

Quels sont les effets de l’abandon de ce projet, que ce soit pour les élus, les techniciens, les partenaires ou les habitants ?

Emmanuel Renard : C’est souvent plus facile de renoncer à un projet à venir qu’à un projet déjà existant. Le renoncement a été bien perçu par les habitants et par les acteurs locaux, qui considèrent ce choix comme une décision courageuse.

Il y a aussi un aspect de “deuil” pour les équipes qui travaillaient sur ce projet depuis longtemps. Mais elles se sont rapidement redirigées vers un nouveau projet : concevoir une stratégie de résilience pour l’estuaire. Ce renoncement ouvre en fait la porte à de nouvelles réflexions, comme des projets en urbanisme temporaire ou des installations éphémères, qui répondent aux besoins du territoire tout en tenant compte des risques environnementaux.

 

Comment dépasser le renoncement et faire le deuil d’un projet d’une telle ampleur ? Est-il possible de faciliter ce processus par un accompagnement adapté ?

Alexandre Monnin : Ce processus est facilité lorsque les décisions sont éclairées par des données scientifiques. Dans le cas de Caen la mer, la collaboration avec le GIEC local a été cruciale, ce qui a contribué à rendre les élus plus réceptifs… Malgré toutes les autorisations administratives, la collectivité a pris la décision de ne pas continuer. C’est un exemple de transformation de fond, du point de vue de la réflexion politique et publique.

Le fait qu’il s’agisse d’un projet comme celui de la Presqu’île, avec des conséquences physiques très concrètes — l’élévation du niveau de la mer, des inondations prévisibles —, a rendu le renoncement plus facile à accepter. On peut visualiser assez clairement le problème : un tiers de l’année, les habitant.es auraient eu les pieds dans l’eau. Cela impose une réalité physique indiscutable.

Mais quand on parle de renoncement à des pratiques ou à des usages moins visibles — par exemple, renoncer à certaines habitudes de consommation ou de mobilité —, cela devient beaucoup plus difficile, car ces transformations ne s’imposent pas aussi directement. C’est pourquoi le renoncement à ce type de projet peut effectivement être une première étape vers une culture du renoncement plus large.

L’accompagnement des équipes est essentiel. Il s’agit d’habituer les gens à l’idée que renoncer ne signifie pas perdre ou échouer, mais bien s’adapter, se rediriger. De plus, ce n’est pas seulement un enjeu pour des communes ou intercommunalités situées dans des zones menacées par la montée des eaux. Il s’agit d’une démarche plus générale que l’on pourrait reproduire ailleurs.

Enfin, ce qui est intéressant dans ce cas précis, c’est qu’il n’y a pas de “méchant” dans l’histoire. Les données scientifiques ont évolué, et les décisions prises il y a 10 ans doivent être adaptées en conséquence. C’est une réalité à laquelle tous les territoires devront faire face.

 

Pour conclure, le regard de Julhiet Sterwen

Les données sur l’évolution du climat et ses impacts sont de plus en plus nombreuses et localisées. L’ampleur et la portée de ces conséquences restent incertaines. Toutefois, il va sans dire que de nombreux territoires sont et seront confrontés à des processus de renoncement. Ceux-ci touchent à la fois les habitants et les acteurs locaux qui ont souvent investi de longues années dans la réalisation de ces projets. Ces processus affectent également, plus largement, les organisations publiques et privées, ainsi que des activités existantes qui s’avèrent non durables, nuisibles ou incompatibles avec les enjeux écologiques et sociaux de ce siècle. Les élus locaux doivent alors faire preuve de courage pour défendre ces nouvelles manières de faire, comme dans les tribunes publiées pour défendre la ZAN.

Il apparaît essentiel d’accompagner les acteurs locaux, les collectivités et les organisations dans ces phases d’abandon ou de transformation, qu’il s’agisse de renoncer à des projets ou de mettre fin à certaines activités. Bien que ce processus puisse inquiéter, car il représente un changement culturel profond, cela peut également ouvrir la voie à de nouvelles opportunités et à des pratiques résilientes. Afin que ces redirections soient un succès, les personnes concernées, qu’elles vivent sur ces territoires ou qu’elles travaillent dans les organisations impliquées, doivent être accompagnées par des méthodes sur-mesure, adaptées à leurs besoins.

 

Crédits photographe :  François Monier Septième Ciel Images